Comment faire un diagnostic sur la situation de la France en fin d’année 2021 ?Les limites de l’approche économique

graph-3078546__340Comment va la France aujourd’hui, telle est la question à laquelle je vais répondre en deux temps.
Dans un premier temps, je présenterai le diagnostic économique qu’a fait Patrick Arthus (1) lors des journées de l’économie à Lyon en novembre 2021. Puis, dans un deuxième temps, je développerai l’idée que le volet économique n’est pas suffisant pour comprendre les problèmes des Français et qu’il est nécessaire de le compléter par d’autres types d’analyse.

Premier temps : Le diagnostic de Patrick Arthus : en fin d’année 2021, la crise économique a disparu et l’économie française va mieux qu’avant la crise

Ne pensez-pas un instant que Patrick Arthus soit spécialiste de la provocation. Il fait un diagnostic que la plupart des économistes partage, les indicateurs macro-économiques montrent en effet que l’économie française s’est redressée plus vite que prévu. Suivons pas à pas son analyse.

Les entreprises françaises sont en plein forme : il y a eu deux fois moins de faillites qu’avant 2020 et les marges bénéficiaires n’ont jamais aussi hautes depuis 1949 ! De plus, elles se sont très fortement désendettées au cours des deux dernières années. Elles ont de nombreux projets de développement et aimeraient bien pouvoir embaucher, mais elles ne trouvent pas sur le marché du travail suffisamment de personnes correspondant aux postes qu’elles voudraient.

Les indicateurs concernant le chômage et le marché de l’emploi sont très favorables

Le taux de chômage en fin d’année 2021 est de 7,6 %, soit le chiffre le plus bas depuis 2008. Quant à l’emploi, il s’est développé à grande vitesse : selon l’INSEE, 514 000 emplois nouveaux ont été créés en 2020. Et ces créations d’emplois ont bénéficié à toutes les classes d’âge.

Le taux de croissance économique a été exceptionnel

Le PIB a augmenté de 6,7 % en 2021 et croîtra d’environ 3,6 % en 2022, taux que l’on n’avait pas connu depuis fort longtemps.

Des progrès importants en matière de productivité du travail

C’est une très bonne nouvelle : cette période de crise a stimulé les entreprises françaises qui ont remis en cause leur modèles de production : grâce à la modernisation, à la robotisation, à la numérisation, les entreprises sont devenues plus efficientes. Le télétravail a joué dans le même sens, car il est une source de productivité, comme l’indique une étude américaine la chiffrant à + 5 points de PIB.

En résumé, Patrick Arthus nous propose une image économique de la France très favorable étayée à partir de chiffres incontestables. Devons-nous nous contenter de cette approche pour évaluer l ‘état de la société française ? certainement pas, et d’ailleurs Patrick Arthus avait lui-même pris soin de signaler qu’un certain nombre de « factures » seraient à payer à suite à la crise économique.

2ème temps : l’approche macro-économique doit être complétée par d’autres types analyses afin d’embrasser la complexité de la société française.

En considérant les données économiques, on apprend que le revenu et le pouvoir d’achat des français a augmenté, ce qui est important, mais on ne sait rien de leurs problèmes et Dieu sait qu’ils en ont, comme on va le voir maintenant à partir de deux éclairages.
Le premier éclairage est fourni par une enquête faite auprès des Français par l’Institut Ipsos et la Fondation Jean Jaurès en octobre 2021 intitulée « Une société fatiguée ». Quand on les interroge sur leurs principales préoccupations, les Français répondent que les trois premières sont la fatigue (17 %), l’incertitude (15 %) et l’inquiétude (15 %). Ce sont les femmes de moins de 35 ans, les employés et les agriculteurs qui sont le plus touchés par la fatigue. Celle-ci est accompagnée par des problèmes de sommeil qui concernent la majorité de Français. Cette enquête est très intéressante, car elle révèle un autre volet de la réalité de la société française : en effet, si les Français sont en moyenne aussi riches qu’avant la crise, une partie d’entre eux vit mal cette période de crise. La leçon à tirer de ce constat est claire : un bon diagnostic sur la société française exige que l’on croise plusieurs types d’approche comme celle utilisée par l’Institut Ipsos. Il sera pertinent dans le futur de ne pas se contenter des chiffres économiques, mais d’intégrer une batterie d’informations illustrant le vécu des Français, leurs sentiments et leurs préoccupations.

Le deuxième éclairage consiste à porter notre regard sur une autre catégorie de Français qui sont ceux exclus de la croissance et de l’emploi par la crise. En 2020 par exemple, un million de personnes sont tombées dans la pauvreté, parmi lesquelles on trouve surtout des étudiants, des travailleurs précaires et des chômeurs récents. Autre statistique : selon une étude menée par l’Inserm et la faculté de Bordeaux (Scientific Reports), les étudiants souffrent beaucoup plus que les adultes des effets de la crise : ils sont 37 % à avoir des symptômes dépressifs contre 20 % pour les adultes, et 27 % des symptômes d’anxiété contre 17 % pour les non étudiants. De même, ils sont plus nombreux à avoir des pensées suicidaires.

En conclusion de ce rapide tour d’horizon sur l’évaluation des effets de la crise, on comprend bien que l’on ne peut pas se contenter d’une seule paire de lunettes. Il en faut plutôt deux et parfois plus. C’est d’autant plus nécessaire que les bons chiffres relatifs aux revenus des Français ne signifient pas qu’ils sont heureux. Selon l’économiste Easterlin (3), au-delà d’un certain niveau de richesse, l’accroissement du revenu ne s’accompagne plus d’une augmentation du degré de bonheur des individus. Cette théorie s’oppose frontalement à la théorie marginaliste dominante pour laquelle il existe une relation positive entre le revenu et le bonheur. Elle rejoint le dicton populaire qui affirme que « l’argent ne fait pas le bonheur ». Toutefois, comme le dit Easterlin, encore faut-il que le revenu ait atteint un niveau suffisant, sinon quelques dizaines d’euros supplémentaires contribueront à redonner le sourire à la maman célibataire qui pourra ainsi offrir à ses deux enfants une petite friandise à leur goûter.

(1) Patrick Arthus est professeur d’économie à l’Université Paris 1 et conseiller économique de Natixis

(2) Cette théorie a été appelée « Le Paradoxe d’Easterlin »

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2 commentaires sur “Comment faire un diagnostic sur la situation de la France en fin d’année 2021 ?Les limites de l’approche économique

  1. Bonjour Jean, merci pour ce nouvel article. Mais vivement que de nouvelles réformes poursuivies, comme tu le souhaites, permettent que nous fassions aussi bien ou du moins nous rapprochions de l’Allemagne en ce qui concerne notre déficit commercial mensuel…Nous ne sommes pas plus bêtes que les Allemands !…

    Quant au fait que l’argent ne fait pas le bonheur à lu tout seul il est me semble-t-il bien connu et répété depuis longtemps (comme dans la fable du savetier et du financier). Mais cela est plus difficile à quantifier que les performances financières et c’est probablement pour cela qu’on en parle moins. La seconde partie dé ton article tombe bien à ce sujet. Amicalement.

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  2. Bonjour Jean, merci pour ton nouvel article. TU verras que, comme d’habifude, j’ai écrit mon petit commentaire.

    Pourvu que l’on ait en janvier ou février au moins une fois une ample chute de neige. J’aime beaucoup cela qui rend si extraordinaire tout paysage…Amicalement.

    >

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