Après 16 ans de bons et loyaux services en faveur de l’Europe, Angela Merkel a été remplacée le 8 décembre par Olaf Scholz au poste de chancelier à la tête d’une coalition dite « Feu tricolore » qui dirigera le pays pendant 4 ans. Ce changement d’équipe gouvernementale chez nos voisins allemands est très important pour les Européens et pour nous Français : en effet, l’Allemagne est notre partenaire le plus puissant sur les plans économique et politique, et rien ne peut être décidé en Europe sans son accord. Une question est de savoir quelles seront les probables conséquences de ce changement de gouvernement sur la politique européenne. Il y a beaucoup d’incertitude aujourd’hui pour répondre à cette question puisque le gouvernement allemand vient juste d’être formé et c’est pourquoi je préfère pouvoir disposer d’informations plus fiables pour traiter ce sujet plus tard.
En attendant, pour avancer dans la compréhension de la manière dont les allemands font de la politique, on peut déjà faire le constat qu’elle ne ressemble en rien au modèle français :
En France, c’est l’élection présidentielle qui rythme la vie politique durant tout un quinquen-nat. C’est le Président de la République qui choisit le Premier ministre et avec lui ses ministres. Le programme gouvernemental est plus l’expression des idées du président que celle des partis politiques censés le soutenir. Quant au Parlement, comme il est souvent de la même couleur que celle du président, il vote la plupart des lois qu’on lui propose.
En Allemagne, le Président de la République n’a pas de fonction exécutive et c’est une figure morale très respectée par les Allemands. La République fédérale est composée de seize länder qui ont chacun une constitution, une assemblée élue et un gouvernement. Quant au gouver-nement fédéral qui va diriger la politique du pays, il est issu d’un processus que je vais mainte-nant décrire par le menu.
Le modèle allemand de gouvernement a toujours été incarné par une coalition de partis qui se mettent d’accord sur un programme commun. Concernant la coalition « Feu tricolore », il s’agit de trois partis appelés ainsi parce que le parti social-démocrate SPD dirigé par Olaf Scholz ar-bore la couleur rouge, le parti libéral FDP présidé par Christian Lindner le jaune et les écolo-gistes représentés par Annalena Baerbock et Robert Habeck évidemment la couleur verte.
Ces trois partis ont pris la décision de négocier ensemble un accord de gouvernement, bien qu’ils aient des doctrines distinctes, et même parfois opposées sur certains sujets. Ainsi, sur la fiscalité, le dirigeant libéral Christian Lindner ne veut pas entendre parler d’impôt sur la for-tune, alors que le SPD et les Verts le réclamaient. Les Verts demandent que les centrales à charbon soient fermées au plus tard en 2030 alors que les sociaux-démocrates souhaitent une date plus tardive pour préserver l’emploi dans des régions où leur parti est bien installé. Quant aux sociaux-démocrates, ils tiennent à ce que le salaire minimal brut de l’heure passe de 9,60 à 12 euros, et souhaitent la construction de 400 000 logements et le maintien du niveau des retraites.
Il n’était pas assuré que la négociation réussisse vu les grandes différences idéologiques de dé-part et il aurait alors fallu relancer une nouvelle négociation entre des partis différents. En l’occurrence, les trois partis ont fini par se mettre d’accord au cours d’un processus en plusieurs étapes que je vais maintenant décrire :
La première étape est celle de la négociation
C’est l’étape fondatrice et bien sûr la plus importante : au cours des négociations qui ont duré deux mois, chaque parti a peu à peu su faire comprendre aux deux autres ce à quoi il tenait le plus. Les conditions étaient alors réunies pour que le contrat de coalition puisse être signé puisque les priorités de chacun figuraient dans le contrat, en simplifiant, le climat pour les Verts, les technologies, en particulier le numérique pour les libéraux et les questions sociales pour les sociaux-démocrates.
La deuxième étape est la signature du contrat de coalition
Les 177 pages du contrat de coalition présenté le 24 novembre précisent l’ensemble des déci-sions et actions qui vont être mises en œuvre au cours des quatre années. Chaque parti s’engage à respecter ce programme qui devient la loi de tous. Ce programme commun a toutes les chances d’être mis en œuvre, de la même manière que cela l’était pour le gouvernement de Mme Merkel.
C’est toute la différence qui nous distingue des Allemands : nous sommes incapables de définir précisément un programme de gouvernement porté par plusieurs partis et surtout de respecter ensuite ce programme lorsque l’on passe à l’action.
La troisième étape concerne la répartition des portefeuilles ministériels
Après d’âpres discussions, chacun a trouvé son compte. Comme convenu au départ, le poste de chancelier a été accordé à Olaf Scholz, le président du parti social-démocrate qui est majori-taire. Ce parti dirigera les ministères du travail, des affaires sociales, de la défense, de la santé et du logement. Les Verts auront un super ministère « économie et climat » et seront respon-sables de la politique étrangère pour une Europe plus souveraine et distante de la Chine et de la Russie, et les libéraux les finances, la justice, les transports, l’éducation et la recherche. L’équipe gouvernementale est très européenne et souvent proche des positions françaises. Il y a tout de même une exception de taille concernant l’Europe qui est la nomination au ministère des finances de Christian Lindner, un fervent défenseur du « frein à la dette », problème que j’évoquerai dans un prochain article.
La quatrième étape est la validation du programme gouvernemental par le Parlement allemand, le Bundestag
Compte tenu des dernières élections, le gouvernement tricolore et son programme seront con-firmés par le Bundestag.
Que conclure, sinon que le système politique allemand a de grandes qualités qui tiennent prin-cipalement au fait que les personnes qui gouvernent le pays ont annoncé ce qu’elles feraient et qu’elles le font globalement. Cette manière de gouverner plaît aux Allemands.
Toutefois, en cette période de grande incertitude et de chocs violents, cette manière de diri-ger le pays est moins facile à mettre en œuvre qu’en période calme. En effet, il faut être ca-pable de réagir vite, alors que l’Allemagne jusqu’à présent n’a pas été très prompte à prendre des risques lorsqu’il le fallait, en particulier en matière diplomatique. Elle a donc à apprendre en ce domaine. C’est ce que je souhaite, car nous avons besoin d’une Allemagne dynamique et réactive sur le plan international pour que le binôme franco-allemand fonctionne à plein ré-gime.