La politique menée par Joe Biden est-elle un modèle pour l’Europe ?

Lorsque le 20 janvier 2021, j’ai écouté Joe Biden prêter serment, j’étais satisfait de savoir qu’il allait remplacer un être malfaisant qui venait de s’illustrer une dernière fois en appelant ses partisans à venir manifester au Capitole entraînant la mort de cinq personnes. Mais j’avoue qu’en même temps, je m’interrogeais sur la capacité du nouveau président à faire des réformes, même s’il les avait évoquées depuis son élection. Aujourd’hui, le bilan est aisé à faire : des réformes très importantes ont été faites et plus rapidement que prévu. Joe Biden s’avère être un grand président réformateur, à l’opposé de sa caricature que Donald Trump appelait méchamment « Sleepy Joe ».

Manhattan, New York. November 09, 2020. Times Square tribute to president elect Joe Biden.

Nous, Européens, avons deux raisons de nous réjouir de l’arrivée de Biden. La première est évidente : la donne internationale est entièrement rebattue, en particulier dans notre relation avec la Chine, les États-Unis n’étant plus un adversaire, mais un allié. La deuxième relève d’un autre ordre : les États-Unis et l’Europe, qui sont en 2018 les deux zones les plus riches du monde, avec respectivement 24 % et 18,6 % du PIB mondial, rencontrent des problèmes proches avec l’arrêt de leur économie engendré par la pandémie. L’étude de la manière dont Biden s’y prend pour résoudre les problèmes de relance économique peut nous être utile pour trouver des solutions en Europe. Examinons ces deux dimensions.

Première partie 

 L’arrivée de Joe Biden réinsère les États-Unis dans les grandes négociations 

concernant la planète et donne à l’Europe les moyens d’y jouer un rôle majeur

Deux exemples emblématiques permettent d’illustrer ces deux points :

  1. Le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris 

Sur ce dossier le plus important pour le futur de l’humanité, le remplacement de Donald Trump par Joe Biden est essentiel puisque les USA sont le deuxième plus grand pays émetteur de gaz à effet de serre derrière la Chine avec 15 % des émissions. Comme les trois plus grands pollueurs, la Chine, les USA et l’Europe se retrouveront à Glasgow du 1er au 12 novembre pour la COP 26, on peut s’attendre à ce que la Chine et les États-Unis utilisent le thème du climat pour chercher à montrer qu’ils en sont les meilleurs défenseurs. Cela aura des effets positifs pour la planète car cette surenchère les amènera à prendre des engagements plus importants qu’auparavant. L’Europe, la zone du monde de loin la plus avancée dans ce domaine, sera en position plus favorable que d’habitude pour promouvoir l’esprit de l’Accord de Paris. 

  • Le rôle indispensable joué par l’Europe dans la reprise des négociations concernant le Traité de non-prolifération des armes nucléaires

Les États-Unis, dont la priorité géopolitique est tournée vers la Chine, a besoin d’un partenaire fort et crédible pour l’aider à gérer les multiples conflits se développant dans des zones proches de l’Europe (Afrique, Proche et Moyen-Orient) et même en Europe avec la Russie et l’Ukraine.

L’exemple du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, dit « Accord de Vienne » signé le 14 juillet 2015 par l’Iran avec l’Union Européenne, les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, dont les Etats-Unis, plus l’Allemagne illustre la manière dont le rôle de l’Europe va évoluer avec le changement intervenu dans la présidence américaine. Rappelons que le 8 mai 2018, Donald Trump avait décidé le retrait des USA de l’accord de Vienne et annoncé des sanctions économiques majeures à l’égard de l’Iran. Cette décision a entraîné une période de très forte tension entre l’Iran et les USA, l’Europe se désolidarisant d’avec la position américaine en s’efforçant de maintenir des liens avec l’Iran. Avec l’arrivée de Joe Biden qui souhaite réintégrer l’accord de Vienne, les Européens jouent les conciliateurs entre les deux adversaires qui, pour l’instant, ne souhaitent pas négocier directement.

Ce rôle de conciliateur se manifeste dans d’autres situations comme par exemple celle des combats à la frontière de l’Ukraine et de la Russie pour lesquels le Président américain est bienheureux de pouvoir s’appuyer sur l’Allemagne et la France, les deux pays impliqués dans ce qu’on appelle le « quartet format Normandie » avec la Russie et L’Ukraine. L’Afrique est également un terrain où les États-Unis ont besoin de l’Europe et en particulier de la France pour contrer l’avancée de la Chine et lutter contre le djihadisme.

Deuxième partie

Les enseignements que doit tirer l’Europe de la politique de Biden 

pour relancer plus rapidement et plus fortement son économie

L’observation des décisions prises par Biden nous aide à faire le bon diagnostic sur la crise actuelle et à choisir les bons leviers pour relancer l’économie européenne.

  1. Ne pas se tromper de diagnostic sur la situation économique de l’Europe

Comme les États-Unis et les autres pays du monde, face à la pandémie, l’Europe a décidé des mesures de confinement qui ont provoqué un arrêt brutal de son activité. Cette crise ne ressemble en rien aux précédentes comme la grande crise de 1929 ou celle des années 2007/2008 dont les causes originelles se situaient dans les secteurs bancaire et financier et dont les effets s’étaient ensuite propagés dans la sphère réelle. En 2020, l’essentiel de l’outil de production au sens large, aussi bien les hommes que les équipements, est toujours en place et prêt à redémarrer. On l’a bien vu au 3ème trimestre 2020 où, avec le déconfinement, la croissance et l’investissement sont repartis immédiatement. Il ne faut donc pas se tromper de diagnostic : l’Europe est en sous-activité, non pas parce que la demande est déprimée, mais parce que la Covid-19 nous empêche d’aller travailler. Si la pandémie recule, les multiples freins seront alors levés et l’économie pourra redémarrer, mais à un rythme qui ne sera pas suffisant si rien de plus n’est fait, comme l’a réalisé Biden.

  • L’Europe doit-elle suivre l’exemple des États-Unis : mettre son économie « sous haute pression » ?

Jean Pisani-Ferry explique que cette notion de « haute pression » (1) a été utilisée par l’économiste Arthur Okun, conseiller de Lyndon Johnson, qui a préconisé de viser un taux d’emploi de la main-d’œuvre le plus proche possible de 100 %, donc quasiment une économie sans chômage. Dans cette situation, la main-d’œuvre habituellement au chômage (chômeurs de longue durée, minorités ethniques, personnes peu qualifiées, isolées, pauvres etc.) retrouvent du travail, ce qui procure deux effets positifs, une croissance plus forte et une amélioration du niveau de vie de ces catégories. C’est précisément ce qu’a fait Biden avec son plan de relance « Covid-19 » de 1 900 milliards de $ décidé le 11 mars, suivi d’un 2ème plan de 2 250 milliards de $ étalé sur huit ans consacré notamment à la rénovation des infrastructures et à des investissements sociaux. L’économie des USA est déjà repartie et la croissance devrait être en 2021 de + 6 % avec un taux de chômage compris entre 2 à 3 %. On est loin de ces performances en France avec un taux de chômage de 9 % et en Europe de 7,5 %. 

Peut-on accélérer comme l’ont fait les USA ?

Je propose deux réponses à cette question :

Première réponse : l’Europe dispose des moyens financiers susceptibles de faire la même chose que les États-Unis 

L’Europe a la meilleure signature du monde avec les États-Unis. L’épargne mondiale est immense et elle cherche des placements sûrs, même avec des intérêts négatifs. La Commission européenne, l’Allemagne et même la France peuvent s’endetter autant qu’elles le souhaitent car les banquiers et financiers ont toute leur confiance, comme on a pu le constater pour l‘emprunt de 750 milliards d’€ lancé par la Commission ou pour celui de 100 milliards de la France. Si besoin était, la Commission européenne, de même que la France, pourrait lancer un nouvel emprunt, et ainsi mettre sous tension nos économies. Or, à l’évidence, nous n’en sommes pas encore là, comme on va le voir.

Deuxième réponse : le modèle décisionnel de Europe des 27 est encore fort éloigné de celui des États-Unis  

Prenons l’exemple du plan de 750 milliards d’euros décidé en juillet 2020 par le Conseil européen qui doit être financé par des emprunts obtenus par la Commission européenne. Réussir à se mettre d’accord sur un tel plan après de nombreuses semaines de tractations a déjà été un exploit : en effet, il a fallu qu’Angela Merkel change de doctrine et fasse pression sur les pays dits « frugaux » pour les convaincre de financer certains États du sud. Ensuite, l’autre difficulté tient au fait que la Commission pour pouvoir emprunter a besoin que chacun des 27 pays lui donne son accord sur le plan négocié avec elle. Ces navettes entre la Commission et les États rallongent les délais puisque, par exemple, il est prévu que du 1er janvier au 30 avril 2021, les 27 pays doivent envoyer leur plan définitif à la Commission qui les validera afin que les Parlements ensuite donnent leur autorisation. Ainsi, ce plan décidé en juillet 2020 par le Conseil européen donnera lieu à des premiers versements presqu’un an après alors que des pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Grèce en ont un besoin urgent. Joe Biden n’a pas eu besoin de consulter les cinquante États pour engager les dépenses de ses deux programmes… En cette période de crise aigüe, la lenteur n’est pas une qualité. 

Un autre sujet de préoccupation concerne la taille des plans de relance. On a vu ci-dessus que Biden n’a pas lésiné en matière de dépenses, d’autant que Trump avait fait de même auparavant. Du coup, l’économie américaine a déjà redémarré dès le premier trimestre et l’année 2021 connaîtra une croissance forte. Il n’en est pas de même pour l’Europe où l’activité est encore stagnante et le chômage élevé. Dans un article précédent j’avais préconisé pour la France « une relance plus forte que celle prévue dans le plan initial ». (2) Je n’ai pas changé d’avis : pour mettre nos économies « en haute pression », la France et l’Europe doivent chacune accroître leurs dépenses d’investissement plus qu’il est prévu dans leur premier plan de relance. J’entends déjà les cris d’orfraie que ne vont pas manquer de pousser les grands prêtres de l’orthodoxie financière pour lesquels il y a trois péchés mortels, l’inflation, le déficit et l’endettement. Malheureusement, il y a encore en Europe pas mal de ces grands prêtres qui raisonnent comme par le passé alors que tout a changé : l’inflation a disparu, le déficit et l’endettement ne sont pas des maladies, mais au contraire les seuls remèdes pour relancer rapidement nos économies arrêtées.

Ce n’est pas le moment de se replier, mais au contraire de prendre des risques, comme a su le faire Joe Biden. Puissent nos dirigeants européens le comprendre.

  • Voir l’article du Monde des 28/29 mars 21 de Jean Pisani-Ferry intitulé « Vive l’économie sous haute pression » 
  • Voir article 29 de mon blog publié le 19/02/21

2 commentaires sur “La politique menée par Joe Biden est-elle un modèle pour l’Europe ?

  1. Bonsoir Jean, merci pour ton nouvel article. Je me réjouis comme toi de l’arrivée de Joe Biden à la tête des USA. Pour ce que je puis en connaître et en juger, je souscris à l’ensemble de tes réflexions à ce sujet, en particulier celles qui concernent notre chère Europe.

    Comme j’ai confiance en ton expertise, je suis près à te suivre quand tu souhaites que l’Europe emprunte encore plus et creuse encore plus son immense déficit, pour relancer efficacement l’ économique du continent…Mais je reste très perplexe et proche des défenseurs de l’équilibre budgétaire !!! Comment diable nos enfants (ou neveux !) vont-ils réussir à rembourser un jour les énormes masses de capitaux empruntés ? Et que se passera-t-il si les taux d’intérêt se mettent à augmenter ?…). Mais peut-être que personne n’a la réponse à ces questions. Est-ce une fuite aveugle en avant , en disant « C’est le moindre mal … ». Souhaitons-nous cependant une bonne nuit, amicalement.

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  2. Merci Jean pour cet article clair et bien argumenté. Je commence à avoir moins peur de la dette ! Je retiens aussi qu’il nous faut absolument renforcer l’intégration de l’U.E. et réaliser l’harmonisation fiscale pour que la voix de l’Europe soit audible et opérante.
    Bien amicalement,
    Jean-Louis

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