Je reprends la plume après plusieurs mois de pause, et ma perplexité est grande pour choisir un sujet parmi les nombreux évènements qui sont venus bouleverser notre pays en peu d’années : parmi les plus graves, j’en retiens deux : le premier est la pandémie du COVID 19 apparue en France en début d’année 2020, encore présente aujourd’hui, engendrant une crise économique inédite puisque du jour au lendemain, tout s’était arrêté. La pandémie a eu également pour conséquence de changer nos modes de production et d’organisation du travail qui ne seront plus jamais comme avant : par exemple, le télétravail a changé de statut en devenant une modalité organisationnelle normale à laquelle font maintenant appel aussi bien les entreprises que les administrations. Le deuxième événement gravissime est l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Ce 2ème choc a déjà commencé à produire des effets importants comme la hausse brutale du coût des énergies (par exemple, le prix de gros de l’électricité en France dépasse 1 000 € le mégawattheure aujourd’hui, contre 85 € il y a 1 an). Mais des conséquences plus alarmantes sont à attendre pour la fin de l’année avec des risques d’insuffisantes livraisons de gaz russe.
Il se trouve que ces deux sources de déstabilisation de notre économie et de notre société se combinent avec une troisième qui les dépasse très largement en gravité, car il s’agit cette fois-ci de l’humanité toute entière qui est en danger sur notre planète du fait du réchauffement climatique et de la perte de la biodiversité.
De grands esprits comme Hubert Reeves nous avaient avertis depuis fort longtemps que « Certains clignotants – ceux qui concernent la température, les émissions de gaz carbonique, les pollutions, l’épuisement des ressources naturelles, l’érosion de la biodiversité- passent du rouge au rouge vif ».(1)
Et les experts du GIEC n’ont pas cessé de tirer la sonnette d’alarme dans leurs rapports en nous décrivant les dégâts produits par l’homme sur l’ensemble de la planète et la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais une partie importante de nos concitoyens et de nos dirigeants n’avait pas encore pris conscience de la dangerosité de la situation et de l’urgence à lancer de fortes actions pour commencer à corriger le tir. Cette fois-ci, les désordres climatiques de 2022 n’ont pas pu être complètement ignorés : la succession d’épisodes de canicule, de sécheresse, d’incendies, d’inondations, de tempêtes, de vents violents etc. a interpellé nos compatriotes qui se sont dit que le réchauffement climatique n’était peut-être pas une invention de quelques écolos rêveurs.
C’est pourquoi, j’ai choisi d’étudier ses effets sur l’emploi en France. C’est un sujet complexe et passionnant qui a l’avantage de nous donner de l’espoir dans cet univers de mauvaises nouvelles. Je l’aborderai en 2 parties, la 1ère étant consacrée aux seuls effets directs du réchauffement sur l’emploi et la 2ème aux conséquences en matière d’emploi des politiques publiques visant à lutter contre le réchauffement.
1ère partie : le réchauffement climatique est clairement l’ennemi de l’emploi
L’intensification des précipitations (pluie et grêle), la multiplication des cyclones tropicaux violents, l’allongement des périodes d’aridité et de sécheresse, le recul de la glace de la mer arctique et de la couverture neigeuse sont les principales manifestations du réchauffement climatique sur notre planète. Ces perturbations climatiques sont mauvaises pour l’emploi : pour le GIEC, jusqu’à 200 millions de personnes en Afrique ne seront plus suffisamment approvisionnées en eau et ne pourront plus participer à la production agricole. Les activités de pêche seront réduites dans des pays de l’Afrique de l’Ouest comme le Nigéria, le Ghana, et le Sénégal où 600 000 personnes, soit 17 % de la population active, travaillent dans ce secteur. Et l’Asie sera également touchée, 130 millions de personnes supplémentaires souffriront d’une pénurie alimentaire.
Enfin, selon le Bureau International du Travail (BIT), la hausse des températures de 1,5 degrés en 2030 devrait faire baisser l’emploi mondial de 2,2 %, soit l’équivalent de 80 millions d’emplois à temps complet.
2ème partie : Malgré le réchauffement climatique, l’emploi peut se développer si les politiques publiques sont menées avec un modèle totalement différent de celui utilisé auparavant
1er § La problématique générale de la lutte contre le réchauffement climatique
L’objectif essentiel est d’obtenir une baisse progressive de la production de gaz à effet de serre dans un espace donné (de la plus petite commune à la planète entière). Cela nécessite que le volume des consommations et des productions de certains biens et services finals diminue. Par exemple, le secteur de l’aéronautique sera particulièrement touché et c’est donc dans ce type d’activité que la reconversion des personnels sera la plus importante. Cette baisse des volumes de production entraînera inéluctablement une baisse de l‘emploi. Il faudra d’ailleurs penser en termes de filière pour mesurer par exemple les effets de la chute des ventes d’automobiles sur les secteurs en amont comme la plasturgie ou l’électronique. Simultanément, des activités vont se développer avec des créations d’emplois dans les métiers dits « verts ». Tout le problème reste alors de savoir si les créations d’emplois seront supérieures aux destructions. Tout dépendra de la manière dont les pouvoirs publics s’y prendront pour conduire ce vaste chantier.
2ème § les politiques publiques à mener
J’ai écouté Christophe Robert, le délégué général de la fondation l’Abbé Pierre, qui était interviewé après la 1ère réunion du Conseil National de la Refondation (CNR) présidée par Emanuel Macron. Il a dit exactement ce que je pense qu’il faut faire pour mener à bien le chantier de la transition écologique : « Il va falloir embarquer tout le monde parce que l’on ne change pas le pays depuis l’Élysée. On le change dans les territoires en mobilisant les forces vives, les associations ». Son opinion va dans le même sens que le travail remarquable mené par le Bureau International du Travail (BIT) qui a chiffré les effets d’une politique publique intelligente sur l’emploi, données que je vais utiliser dans ce paragraphe (2).
Que disent et proposent Christophe Robert et les experts du BIT ?
- Ils disent que réformer la France pour lui permettre de réussir la transition écologique est une mission possible si l’on fait autrement que jusqu’à présent où l’initiative était prise par la présidence de la République pour ne redescendre difficilement qu’à partir de quelques silos isolés sans implications de la base (3).
- Ils proposent de mettre en place un dispositif où les catégories d’acteurs publics et privés installés sur l’ensemble du territoire ayant une responsabilité en matière d’emploi travaillent ensemble au plus près du terrain. L’OIT propose quelques principes directeurs pour une transition juste : « Les gouvernements, les employeurs, et les organisations de travailleurs peuvent agir sur la transition écologique. Il faut une action qui soit large et qui comprenne tout un écosystème sur les politiques de l’emploi et soit basée sur le dialogue social »… « Pour que les emplois perdus puissent être réaffectés, il est nécessaire de mettre en place de réelles politiques en termes de compétences, de requalification et de formation et d’impliquer les partenaires sociaux dans ce processus ».
Ce modèle est celui que j’ai utilisé comme consultant, en particulier lorsque je suis intervenu dans quatre grands ministères. Le concept est aisé à expliquer : quand on travaille avec un ministre pour réformer son ministère, il faut déjà avoir la chance que le ministre reste suffisamment longtemps, ensuite qu’il soit capable de mobiliser toutes les catégories d’acteurs de son ministère, depuis les responsables des grandes directions jusqu’au secrétariat en passant par les chefs de bureau. Ces personnes en général ne se parlent guère et le problème consiste donc pour le ministre de faire en sorte qu’ils apprennent à se connaître et à travailler ensemble sur des sujets d’intérêt commun.
C’est ce que doit réussir Emmanuel Macron et son gouvernement, c’est-à-dire obtenir que se mettent en place sur l’ensemble du territoire français des petites structures rassemblant quelques fonctionnaires locaux, des chefs d’entreprises, des représentants des syndicats de salariés, des spécialistes de la formation etc. qui vont ensemble monter des actions locales de requalification des salariés qui ont perdu leur emploi et de formation vers les métiers verts nouveaux.
A la différence des ministres avec qui j’ai travaillé, Emmanuel Macron est là pour 5 ans. Il lui reste une tâche ardue qui consiste à ce que les acteurs locaux s’emparent de ce projet et le font leur. Je crois cet objectif accessible dans la mesure où les acteurs locaux sont motivés pour s’impliquer comme en témoigne Christophe Robert. Une autre preuve de leur intérêt est l’échange qui a eu lieu au cours de la 1ère réunion du Conseil National de la Refondation. Malgré quelques absences incompréhensibles comme celle du Sénat, les employeurs étaient largement représentés par les deux organisations patronales le MEDEF et la CGPME, et les syndicats par la CFDT et la CFTC, de même que les élus locaux par l’Association des maires de France (ADF), l’Assemblée des Départements de France (ADF) et Régions de France. La journée a été jugée très positive par l’ensemble des 40 personnes présentes. Par exemple, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT a déclaré à la sortie de la réunion « On y croit, on a réussi à inclure certains sujets, comme l’évolution du travail ou le logement. C’était utile, exigeant, agaçant parfois, parce qu’on n’est pas d’accord. Mais, mine de rien, ça a avancé ».
Reste pour terminer à savoir si le bilan peut être positif en matière d’emplois à partir du moment où les politiques publiques sont réussies. Voici les résultats fournis par les modèles de l’OIT : « La mise en place de l’Accord de Paris et la politique énergétique qu’elle impose devraient générer une perte totale de 6 millions d’emplois, mais en créer 24 millions au niveau mondial d’ici 2030. Au niveau régional, l’Europe enregistrerait 2 millions de créations nettes d’emplois. Outre le secteur énergétique, si l’on prend en compte l’économie circulaire et la consommation, on arrive à 100 millions d’emplois créés, avec un résultat net de 26 millions d’emplois dans le monde ». Des résultats concordants ont été publiés par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) qui a modélisé 4 scénarios en faisant varier le volume d’activité de 7 secteurs économiques en France (4). Par rapport au tendanciel, 3 scénarios sur 4 montrent qu’il y a des créations d’emplois supplémentaires en France en 2035 de l’ordre de 500 000 à 800 000 personnes. Autre information intéressante mise en évidence par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) (5), la plupart des emplois créés dans le futur ne seront pas des emplois verts « purs », mais des emplois « verdissants » c’est-à-dire des métiers anciens qui intègrent une dimension écologique forte. C’est la bonne nouvelle, la France peut continuer à créer de l’emploi, malgré le réchauffement climatique.
(1) Voir Mal de terre, édit. Le Seuil Mars 2005 que j’ai cité dans mon ouvrage « Réformer la France : mission impossible ?
(2) Voir l’article de Sarah Gondy du BIT intitulé « Changement climatique : quelles conséquences sur l’emploi ? » dans le journal Capital management publié le 18/03/2022
(3) Voir dans mon blog l’article 6 intitulé « La 2ème source de blocage dans le fonctionnement d’un ministère : l’usage insuffisant de la transversalité » et l’article 8 intitulé « L’État peut-il changer de fonctionnement ? »
(4)Voir ADEME le dossier de juillet 2022 intitulé « Les effets de la transition écologique sur l’emploi »
(5) Voir Cereq bref n° 423 juin 2022 « La transition écologique au travail : emploi et formation face au défi environnemental»
Bonsoir Jean, merci pour ton nouvel article fort intéressant. Je persise à penser que la fonction publique continuer à être peu efficace tant que le statut des personnels n’aura pas été assoupli. Hélas, quand on voit l’attitude conservatrice des syndicats dits réformistes, au sujet d la réforme des retraites, on peut être pessimiste sur ce sujet.
A défaut de pouvoir assouplir le statut des fonctionnaires, on va poursuivre la diminution du nombre de personnel statutaire..On aura de plus en plus des fonctionnaires hyperpotégés et figés et des contractuels de la fonction publique corvéables à merci.
Amicalement.
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