Faut-il se préoccuper dès à présent du remboursement de la dette publique, ou bien continuer à s’endetter pour investir ?

La question posée dans le titre de cet article n’a rien de théorique, car les deux politiques éco-nomiques peuvent être choisies et elles ont chacune des partisans enflammés chez les gouvernants et chez les économistes. Pour trancher entre ces deux points de vue, il faut analyser sereinement comment se pose aujourd’hui le problème de la dette.money-2724241_960_720

1) Le montant de la dette publique n’est plus un problème aujourd’hui, seul le coût de la dette, représenté par les intérêts payés (que l’on appelle la charge de la dette) est à considérer, or il est très faible, de l’ordre de 23 milliards d’euros en 2021, soit 1 % du PIB.

Si un représentant des pays frugaux fait remarquer que cette situation ne va pas durer, je propose pour lui répondre de reprendre les démonstrations de deux économistes expliquant pourquoi cette période de taux d’intérêt faible va se poursuivre longtemps pour des raisons incontestables :

Xavier Ragot (1), le Président de l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) explique que depuis des dizaines d’années les taux d’intérêt des emprunts publics ne cessent de baisser et que ce mouvement se poursuivra parce que l’épargne mondiale est surabondante alors que l’on manque de projets d’investissements. Il in-dique également que le taux d’intérêt des obligations publiques (dites OAT) est négatif à l’échéance de 5 ans et égal à 0,9 % à l’échéance de 10 ans. Comme il y a cette année une inflation de l’ordre de 2,3 % en France, cela signifie que lorsque l’État français s’endette de 1 milliard d’€ à 10 ans, il s’enrichit en pouvoir d’achat réel (2) de 1,4 million d’€. S’endetter est donc « une bonne affaire » pour le Trésor public. Enfin, Xavier Ragot évalue les possibilités d’endettement de l’État à 100 milliards d’€, car le coût de la dette supplémentaire restera très faible.

Philippe Aghion, professeur au Collège de France, fait un autre raisonnement : il part du constat que « la solvabilité à long terme d’un pays dépend de la différence entre le taux de croissance du PIB et celui du taux d’intérêt. Plus cette différence est grande, plus le pays sera capable de réduire sa dette publique par rapport à son PIB à long terme » (3). Comment ne pas être d’accord avec cette proposition qui nous amène à être optimistes puisque la croissance du PIB en 2021 sera très élevée du fait du rattrapage (autour de 6,75 %) et autour de 4 % en 2022 ? On est très loin des taux d’intérêt réels actuels qui sont négatifs.

En résumé, on sait maintenant que la France n’a pas besoin de se désendetter à court terme, car cela ne lui coûte presque rien et que personne – en particulier la Banque Centrale Européenne (BCE) qui a racheté l’essentiel de la dette française – ne lui en fait la demande. On sait également qu’elle peut s’endetter plus, mais la question est alors de se demander s’il est pertinent de dépenser plus dans le futur.

2) Il est pertinent de dépenser plus, mais à condition que l’on soit extrêmement attentif sur la manière dont les cibles seront choisies et sur la qualité du pilotage et de la coordination des actions menées sur le terrain par les différents acteurs

A) Le choix des cibles : un exercice délicat, car il y a pléthore de cibles pertinentes

1ère question : y-a-t-il un critère primordial pour choisir les cibles ?

Oui, il faut ne retenir que les dépenses qui exercent leurs effets sur le long terme, ce qui revient à privilégier les investissements au détriment de la consommation.

2ème question : peut-on distinguer plusieurs catégories de cibles ?

Il y en a trois :

La première a trait aux deux crises mondiales : la crise climatique et la crise sanitaire.

La deuxième est plus spécifique à la France : l’objectif est de rattraper les retards que nous avons pris par rapport à d’autres pays développés, en investissant dans l’éducation, la recherche, la technologie, l’innovation, le numérique, l’énergie, l’industrie et les relocalisations.

La troisième est d’une nature différente des deux précédentes : les deux crises climatique et sanitaire ont engendré une crise sociale qui a impacté, soit des personnes fragilisées et précaires, soit des salariés souvent mal payés et peu considérés qui se sont révélés être indispensables au fonctionnement de l’économie et de la société françaises. Pour ces deux catégories, des dépenses publiques étaient nécessaires pour les aider à trouver (ou retrouver) du travail ou revaloriser leurs revenus.

3ème question : quelle est la finalité première visée au travers de ces dépenses d’investissement ?

Leur objectif commun est de permettre à la France de demeurer dans le peloton de tête des pays démocratiques au cours du vingt-et-unième siècle. Elles visent toutes à offrir à nos enfants et petits-enfants des progrès dans tous les domaines cités ci-dessus (climat, santé, éducation, recherche etc…). Probablement, certaines personnes me taxeront d’optimisme plus ou moins béat alors que nous vivons une époque de grands bouleversements. Je leur demanderai simplement de regarder la liste des cibles visées proposée ci-dessus : si les objectifs relatifs aux crises climatique et sanitaire ne dépendent pas seulement de la France, nous avons par contre la maîtrise des autres dépenses, ce qui est déjà beaucoup.

4ème question : quels seront les effets de ce surcroît de dépenses sur la croissance à long terme et la dette publique ?

Tous ces dépenses auront pour résultat d’augmenter ce que les économistes appellent « la croissance potentielle » : celle-ci dépend des capacités des hommes et des équipements à produire des biens et des services de qualité. Or, les décisions d’investissement vont toutes dans le même sens d’augmenter la croissance potentielle. Quoi de plus utile pour relancer la machine économique que d’éduquer les hommes, faire de la recherche, innover, développer l’industrie, relocaliser etc. Ainsi, à terme, la dépense, en faisant croître l’économie dans le futur, aura pour conséquence de réduire le poids de la dette par rapport au PIB.

5ème question : y-a-t-il des risques de se tromper de cible ?

Le risque est réel : il consiste à faire passer, sous couvert de l’appellation « investissement », toutes sortes de dépenses improductives ou inutiles comme les centaines de ronds-points qui n’auront aucun effet positif sur la croissance potentielle et au contraire pèseront sur les déficits budgétaires futurs et finalement sur la dette. Pour éliminer ce risque, il faudra disposer d’une institution capable de repérer et d’exclure tous les projets de « faux investissements » camouflés sous des présentations séduisantes. Le Haut-Commissariat au Plan pourrait être cette structure de pilotage.

B) La qualité du pilotage et de la coordination des actions menées sur le terrain par les différents acteurs est la condition nécessaire pour que les investissements soient productifs

Première remarque : l’État n’est pas le seul acteur responsable de la réussite d’un investisse-ment public. Comme le disent pertinemment Daniel Cohen, Président de l’École économique de Paris et Yann Algan, doyen associé des programmes pré-expérience à HEC Paris, dans une note du Conseil d’analyse économique, la crise « n’est pas résolue d’en haut, uniquement par un bon dosage de la politique économique, mais exige une coproduction de l’État et de la société toute entière ».
Prenons comme exemple une des rares initiatives de Donald Trump qui, bien conseillé par des hauts fonctionnaires considérés aujourd’hui comme des héros, a permis une réussite extraordinaire, ce que nous n’avons pas été capables de faire en Europe. Il s’agit de l’Operation Warp Speed lancée en avril 2020 pour développer des vaccins contre la COVID en 12 mois. L’idée géniale a été de solliciter l’ensemble des laboratoires et entreprises pharmaceutiques et de les financer tous pour un montant total de 11 milliards de $, quelles que soient leur taille, leur nationalité, et leur expérience en matière de vaccins, en espérant qu’il y aurait parmi eux des gagnants (4). La suite a été un modèle d’organisation entre les hauts responsables de l’administration de la santé et les entreprises privées pour accélérer tous les processus de décision. On voit bien dans cet exemple que la réussite a été conditionnée par la qualité des liens entre les secteurs public et privé. Dans un autre cas où il s’agirait de bâtir en France un nouvel hôpital, le Ministère de la santé, L’Agence Régionale de Santé (ARS), le maire de la ville, les entrepreneurs du bâtiment, les médecins exerçant dans le territoire, etc. devraient marcher d’un même pas, ce qui est rarement le cas en France à cause des embrouillaminis produits par notre millefeuille administratif.

Deuxième remarque : chacun des acteurs s’engagera sur des objectifs précis de performances en matière de coûts, de délais et de qualité et il sera régulièrement évalué au fur et à mesure du temps avec des indicateurs définis en début de planification.

Cette démarche peut être conduite avec succès, quels que soient les projets considérés, même ceux qui sont réalisés par des administrations publiques5, comme le Ministère de l’Éducation nationale. Ainsi, les dépenses d’investissement en matière d’éducation doivent être évaluées par des indicateurs tels que ceux retenus dans les rapports PISA effectués tous les trois ans par l’OCDE dans 79 pays auprès des élèves de quinze ans en matière de mathématiques, de lecture et d’écriture, et de sciences. Les deux principaux résultats publiés en décembre 2019 ont été décevants puisque la France ne progresse pas et stagne dans le milieu du tableau (autour de la 20ème place) et que l’école française a accentué les inégalités sociales au lieu de les réduire. Un seul exemple de ces inégalités : « En France, un élève défavorisé n’a qu’une chance sur six de fréquenter le même lycée qu’un élève très performant ». Nous verrons en 2022, avec le nouveau rapport PISA, si les choses ont évolué.

Troisième remarque : comme notre pays n’a pas encore acquis cette culture de l’évaluation, il serait souhaitable d’avoir une structure externe crédible et capable de maîtriser cette dé-marche de planification.
Le Haut-Commissariat au Plan est l’institution la plus pertinente pour jouer ce rôle d’animation dans ce processus de planification, mais encore faut-il qu’on lui donne suffisamment de moyens. Espérons qu’on fera appel à lui ou à une autre institution analogue pour animer le Plan France 2030.

On aura bien besoin d’un berger expérimenté accompagné de son chien fidèle pour conduire dans la bonne direction son troupeau de chèvres parmi lesquelles on trouvera toujours quelques gourmandes à l’esprit indépendant souhaitant aller brouter des délicieuses feuilles de chardon, de tanaisie ou de bardane loin des sentiers balisés.

(1) On peut écouter l’intervention de Xavier Ragot sur le site des JECO ou sur Youtube de JECO. Son exposé a eu lieu le vendredi 5 novembre 21 lors des journées de l’économie à Lyon (JECO) sur le thème de « Relances budgétaires : jusqu’où ».

(2) Les économistes utilisent la notion d’intérêt nominal qui est le prix payé par l’acheteur pour acquérir un titre et celle d’intérêt réel qui est égal au taux d’intérêt nominal – le taux d’inflation

(3) Voir son article dans le journal Le Monde du 8 octobre intitulé « Le discours alarmiste sur la dette publique est socialement dangereux et économiquement erroné »

(4) Voir sur mon blog l’article n° 28 racontant l’histoire de la découverte du vaccin à ARN messager par deux gagnants, la BioNTech et Pfizer

(5) Dans mon ouvrage intitulé « Réformer la France : mission impossible » j’ai expliqué aux pages 77 à 83 comment on pouvait mesurer le volume de la production et des facteurs de production des administrations publiques et donc leur productivité.

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2 commentaires sur “Faut-il se préoccuper dès à présent du remboursement de la dette publique, ou bien continuer à s’endetter pour investir ?

  1. Bonjour Jean, merci pou ton long article très intéressant. Je ne l’ai lu qu’en partie, car je pars pours 3 jours. J’aurai le plaisir de t’en reparler après mon retour et une lecture-audio plusieurs fois répétée. À bientôt donc. Bonnes balades à St-Germain !

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  2. Bonsoir Jean, du haut de mes faibles connaissances sur le sujet, je ne vois pas de raison de ne pas souscrire à l’ensemble d tes réflexions.

    Cependant cette énorme dette il faudra bien la rembourser un jour. Comment fera-t-on, alors que chaque année , avant même la crise Covid, elle augmentait encore et encore ?

    Est-ce correct de laisser cet énorme problème à nos successeurs ? Qu’ein penseraient-ils s’ils nous entendaient…? Cela me préoccupe, mais je n’ai évidemment pas la solution. Peut-être faut-il finalement considérer tes propositions comme un « MOINDRE MAL » ?

    Ce serait, comme la démocratie, « Le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres… ».

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