Je n’ai pas de boule de cristal à ma disposition pour prévoir comment la pandémie va évoluer, mais si elle engendrait une nouvelle période de confinement équivalente à celle du 17 mars au 11 mai, ce que je vais écrire maintenant serait entièrement à revoir, car deux périodes d’arrêt complet de l’économie en une seule année seraient catastrophiques : en effet, le seul confinement du printemps provoquera en 2020 une baisse du PIB d’environ 10 % ( la pire récession depuis 1945) et une perte de 800 000 emplois malgré les mesures de chômage partiel et d’aides aux entreprises prises par le gouvernement. Un deuxième arrêt de l’activité multiplierait les pertes de croissance et d’emplois. Heureusement, cette hypothèse est peu probable et je vais pouvoir étudier les effets possibles du plan de relance gouvernemental sur la reprise de l’activité.
Auparavant, constatons que la reprise d’activité n’a pas attendu le plan de relance : selon l’INSEE dans son tableau de bord de la conjoncture, en août, « le climat des affaires et celui de l’emploi continuent de se redresser », c’est vrai également dans l’industrie manufacturière et dans les services, où « le rebond se poursuit », « l’opinion des entrepreneurs du bâtiment sur leur activité récente s’améliore de nouveau », et « le climat des affaires dans le commerce de détail poursuit son redressement ». Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, fait le même diagnostic : « La reprise se passe un peu mieux que prévu. Trois secteurs en particulier ont été mieux orientés que prévu : l’automobile en amélioration très sensible, l’hébergement-restauration – certes à un niveau encore bas – et le bâtiment à 100 % de la normale en août » (1). Enfin, la Banque Publique d’Investissement France, dans une étude publiée le 17 septembre, confirme l’optimisme relatif des patrons : « Près de trois patrons sur quatre d’Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) et un patron de PME sur deux disent s’attendre à un retour rapide à une activité normale », c’est-à-dire dans les 6 mois (2). Ces chiffres n’ont rien d’étonnant, car ils reflètent simplement le fait que les hommes et les équipements étaient à l’arrêt depuis 2 mois, mais à partir du moment où les Français ont recommencé à dépenser, les entreprises ont immédiatement pu faire redémarrer leur activité.
Cela ne veut pas dire pour autant que les effets destructeurs de la pandémie sont terminés : l’élargissement de la reprise à d’autres secteurs et le fait que les aides de l’État (3) seront réduites progressivement vont révéler qu’un certain nombre d’entreprises maintenues en vie jusqu’alors seront incapables financièrement de se relancer. Elles disparaîtront, entraînant de nouvelles destructions d’emplois et un taux de chômage qui atteindra 11 % au 1er trimestre 2021 selon la Banque de France alors qu’il avait baissé depuis plusieurs années et n’était plus que de 7,8 % lorsque la pandémie a démarré.
Abordons maintenant dans un 1er point l’impact du plan de relance sur la reprise. J’évoquerai dans un 2ème point une des raisons principales susceptible de faire réussir ou capoter le plan.
1er point : les choix de politique économique sous-jacents du plan de relance de 100 milliards d’€, la réconciliation des frères ennemis, John Meynard Keynes et Jean-Baptiste Say
Ce plan de relance s’inspire de deux théories économiques qui ont pour habitude de se combattre, la 1ère est la théorie de la demande d’inspiration keynésienne et la 2ème la théorie de l’offre d’inspiration libérale. En introduction, disons quelques mots de ces deux théories avant d’examiner si elles influencent ou non le plan de relance.
- La politique de la demande effective d’inspiration keynésienne
Lorsqu’une économie est grippée et que, ni les entreprises, ni les ménages ne veulent ou ne peuvent desserrer les cordons de leur bourse, la seule solution pour Keynes est que l’État intervienne en émettant des emprunts, et donc en s’endettant massivement si nécessaire. Il accroît le déficit budgétaire, mais le plus important est de relancer l’économie en dépensant, soit lui-même avec des investissements publics, soit en les mettant à la disposition des ménages et des entreprises qui vont les utiliser en consommant et en investissant, entraînant ainsi une nouvelle vague de croissance et d’emploi.
- La politique de l’offre d’inspiration libérale
Jean-Baptiste Say a été un des premiers économistes à expliquer dans son Traité d’Économie politique paru en 1803 que « C’est la production qui ouvre des débouchés aux produits ». En termes modernes, cela signifie que les entrepreneurs en créant de nouveaux produits font naître de nouveaux besoins qui rencontrent les demandes des clients. La production et le chiffre d’affaires des entreprises augmentent entraînant des embauches, des salaires et des revenus qui vont ensuite venir engendrer de nouvelles demandes. Pour que ce mécanisme vertueux se développe, il faut que le système productif soit flexible ; s’il ne l’est pas, il faut intervenir. C’est ce que proposent les théoriciens de l’offre qui préconisent de lever les freins pesant sur les entreprises au travers de la fiscalité, des règlements, etc. Le marché du travail devra être également assoupli ; les entreprises pourront être aidées par des subventions lorsqu’elles investiront dans des secteurs jugés stratégiques (climat, nouvelles technologies, santé etc.).
En simplifiant, pour relancer une économie et l’emploi, le levier principal pour John Maynard Keynes est l’endettement public et le déficit budgétaire, pour Jean-Baptiste Say, cela exige de disposer d’un système productif efficace composé d’entreprises innovantes, flexibles et compétitives.
Le plan de relance est-il keynésien ou relève-t-il de la politique de l’offre ?
Le plan de relance français est typiquement une politique keynésienne puisque d’une part, les 100 milliards qui seront dépensés par l’État viendront s’ajouter à la demande et stimuleront l’activité, et d’autre part, 80 % des 100 milliards seront financés par des dettes de l’État et donc contribueront à augmenter le déficit public. Remarquons que l’endettement de l’État va à l’encontre des règles habituelles édictées par l’Europe où le déficit budgétaire doit être inférieur à 3 % du PIB, mais ces règles n’ont plus aucune pertinence dans une situation de crise exceptionnelle. Tous les gouvernements ont d’ailleurs fait le même choix que la France, y compris l’Allemagne qui a changé de doctrine dont j’expliquerai dans mon prochain article les raisons et les conséquences sur la politique européenne. L’Europe a fait de même avec son propre plan de relance de 750 milliards d’€ financés par des emprunts lancés par la Commission européenne. « Quand la maison brûle, on ne compte pas les litres d’eau pour éteindre l’incendie ». Ajoutons que nous avons la chance de vivre dans une période exceptionnelle où l’argent est quasiment gratuit, l’Allemagne et la France pouvant même se financer à des taux d’intérêt négatifs pour des emprunts à court et moyen terme.
John Maynard Keynes a-t-il définitivement gagné la bataille contre Jean-Baptiste Say ? Pour répondre, il suffit d’examiner les finalités visées par le plan de relance.
Celui-ci comprend trois grands axes de dépenses d’environ un tiers chacun.
1er axe : 30 milliards d’euros pour financer la transition écologique afin de réduire les émissions à effet de serre. On trouve dans cette rubrique des aides au transport par le train (SNCF, fret, petites lignes) des bonus écologiques auto, du soutien au vélo, de la rénovation énergétique des bâtiments publics, des logements, de l’industrie et de l’agriculture. Globalement, il s’agit de dépenses d’investissement à effet de long terme dans des secteurs jugés stratégiques.
2ème axe : 34 milliards d’euros affectés à la compétitivité des entreprises. Les décisions principales concernent une baisse de 10 milliards des impôts de production sur les entreprises, un renforcement de leurs fonds propres afin de les sécuriser en matière de trésorerie, des subventions ciblées sur des projets industriels, de la relocalisation des activités, et des aides à la transition numérique des TPE et PME. Ce 2ème « paquet » de financement relève clairement d’une politique de l’offre puisqu’il s’agit d’améliorer la compétitivité des entreprises.
3ème axe : 36 milliards consacrés à un volet de cohésion sociale et territoriale :
- 16 milliards sont affectés à des mesures pour l’emploi (chômage partiel de longue durée, formation, plan jeunes),
- 9,5 milliards à la cohésion territoriale (construction de logements sociaux, aides au petit commerce, soutien aux collectivités)
- 10,5 milliards à la dépendance et au « Ségur de la santé »
Dans ce dernier axe, le volet emploi relève aussi de la politique de l’offre, car il améliore les capacités de production des salariés. Ainsi, le plan gouvernemental, même s’il emprunte des idées à Keynes, a pour objectif majeur de privilégier le long terme en aidant les entreprises à investir dans les secteurs d’avenir. C’est son originalité et son intérêt par rapport aux plans habituels de relance de l’économie par la demande des ménages. Le message de Jean-Baptiste Say a été entendu par le gouvernement. Mais les Français le comprendront-ils également ?
2ème point : le comportement des Français
La faiblesse du plan réside dans le fait de savoir si les Français vont manifester de la confiance dans les choix retenus. Tout dépendra en effet de la manière dont les ménages vont réagir en matière de consommation et les entreprises en matière d’investissement. La consommation des ménages représente 69 % du PIB, l’investissement des entreprises 13 %. La plupart des revenus des Français n’a pas été affectée par la crise grâce aux mesures prises par le gouvernement et ceux-ci disposent d’une épargne importante de 80 milliards d’€ accumulée pendant le confinement. La question est de savoir si les ménages vont dépenser comme auparavant, ou bien auront tendance à épargner craignant l’avenir. Quant aux entreprises, malgré le plan de relance, celles-ci risquent d’attendre d’y voir plus clair pour décider de nouveaux investissements ou alors elles se mettront dans les pas du gouvernement en investissant.
L’incertitude reste donc grande et seuls les Français sont capables de la réduire. Comme en matière de lutte contre l’épidémie, ils sont des décideurs majeurs. J’espère qu’ils seront capables d’assumer leurs responsabilités dans ces deux domaines.
- Voir son interview dans l’article intitulé « La reprise se passe un peu mieux que prévu » dans le journal Le Monde du 15/09/20
- Voir l’article intitulé « Licenciements, plans sociaux … le plus fort de la crise attendue en 2021 » dans le journal Le Monde du 18/09/20
- Outre le chômage partiel, les aides ont concerné les Prêts garantis par l’État (PGE), les reports de charges, les aides sectorielles etc.
Bonjour Jean, merci pour ce nouvel article. Mes impressions et mon intérêt rejoignent totalement ceux exprimés par Fabrice dans le courriel qu’il t’a adressé à ce sujet.
Comme lui, comme toi bien sûr, j’ai hâte d’être rassuré sur la capacité du gouvernement de continuer à mener à bien des réformes de fond, comme celle en cours des retraites, ou celle — viendra-t-elle ?– d’assouplissement du statut de la fonction publique.
Tes réflexions annoncées sur le nouvel élan de la construction européenne m’intéresseront aussi beaucoup.
Mais comment va-t-on pouvoir résorber notre énorme déficit ? Personne ne nous en fera cadeau !!
Et comment va faire le Royaume-uni pour s’en sortir, sans bénéficier du plan de relance européen ?
Pourquoi ne parle-t-on plus des négociations RU-UE sur nos futurs accords post-Brexit ?
Amicalement.
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Merci Jean pour ce rappel historique utile pour un béotien comme moi. Ce que j’ai du mal à comprendre : laisser filer la dette publique n’aurait pas d’importance ! Même à taux zéro un emprunt n’est pas un cadeau, qui remboursera et quand ?
Amicalement,
J.L. Texier
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